La voie des armes au Mali

Danseurs dogons

Originellement publié le 20 février 2013.

Depuis que la France est venue chasser les groupes narcotrafiquants et fondamentalistes des villes et villages dans le nord du Mali, on nous a servi un heureux spectacle d’une populace soulagée et bien contente de se faire libérer du joug des envahisseurs; ces derniers comprenant tout de même une quantité de maliens dans leur rangs. Maintenant que la France c’est rendue jusque dans l’extrême nord-ouest du pays, l’alerte fut sonné par les journalistes-activistes maliens un peu partout sur la toile: une ambition venue du pays libérateur serait peut être en train de se dérouler sous nos yeux. Ce qui achale, c’est les troupes libératrices qui évitent de confronter les effectifs du MNLA [1], qui lui, était pourtant le premier groupe à s’insurger avant de se faire écarter par les groupes à connotation islamiste.

Ce que redoutent bon nombre de maliens, c’est de se faire imposer des pourparlers avec le MNLA, qui lui est qualifié de groupe perpétrant des actes criminels [2]. Sans faire une histoire longue, on peut se rappeler le massacre de plus de 80 militaires et gendarmes maliens non-armés à Aguelhok en janvier 2012 par le MNLA [3]. Bref, entre les actes de ce groupe sur le dure terrain, et ses interlocuteurs très visibles et bien costumés en pavane sur les chaînes européennes, il semble y avoir une grosse discordance, et comme le gros de l’humanité se foire dans leur divans devant la télé pour se faire une opinion de questions qui sont bien complexes, vous vous doutez de ce qu’on nous sert comme perception du MNLA.

Ou bien ces informations sont fausses (Aguelhok) et tous les journalistes ont foiré, ou bien il y a quelque chose qui ne tourne par rond, quand on fait la chasse aux islamistes coupeurs de mains, et qu’on ignore du même coup les groupes séculiers égorgeurs d’hommes [4]? Voilà donc que l’on balance l’idée de casques bleus de l’ONU comme solution au maintien de la paix au Mali [5]. Vous voyez maintenant pourquoi les maliens crient à l’intrigue… Il est allégué que ce n’est pas pour faire la séparation entre les troupes maliennes et les groupes islamistes, mais bien pour séparer ces premiers des forces du MNLA. C’est du moins ce que l’on craint, et du coup, c’est comme si la France rendait légitime les actes de guerre perpétrés par le MNLA envers Bamako, tout en ignorant les crimes dont le groupe est accusé. Pire encore, c’est comme si la France rendait légitime l’atteinte de l’indépendance, l’aboutissement de l’Azawad, par la méthode violente, plutôt que par les urnes. Comme quoi ce qui est désirable pour les pays développés (démocratie) ne l’est pas forcément pour ceux en voie de développement.

Est-ce que les maliens ont raison de s’inquiéter? Si on adhère à la thèse que le sous-sol du nord du Mali est potentiellement très riche côté minerais, alors là on est bien servi pour appuyer des thèses de conspiration. Rappelez-vous la tentative de sécession du riche Katanga sous Tshombe dans le Congo avec le support de la Belgique et de la France. Rappelez-vous aussi le support de la France lors de la guerre sécessionniste du Biafra, région riche du sud du Nigéria.

Certains font la thèse qu’il n’y a pas de développement significatif ou de réserves bien prouvées dans le sous-sol du nord mali, et que par conséquent, ce n’est pas là que repose la motivation première de la France [6]. Il faut rappeler que quand la France a perdu son pétrole algérien, n’a-t-elle pas dû tout recommencer ailleurs, notamment au Gabon et au Congo-Brazzaville? Pourquoi assumer que la France n’est pas « planificatrice » quand il s’agit de ses intérêt? Toute la région, du Niger à la Mauritanie [7], pisse de ressources et le nord Mali est en plein dans le mille. Si les français ont pu se lancer dans l’aventure du Biafra alors qu’ils étaient bien gavée du pétrole gabonais, c’est bien dire qu’il n’est pas logique d’assumer qu’un pays développé puisse stopper ses quêtes quand viens l’apport en ressources énergétiques. Vraiment, qui peut oser penser que la France ne trouverait pas le nord du Mali intéressant. Partout, les compagnies se battent pour s’arracher des droits d’exploration avant même de parler d’exploitation. Seul le potentiel de découverte est suffisant pour lancer les motivations de sécuriser une certaine exclusivité.

Mais revenons au MNLA. Il semble bel et bien y avoir une thèse viable qui expliquerait qu’on tolère la création de l’Azawad par les armes, en assumant que la partition du pays soit désirable pour l’occident. En dépit de toutes les incompétences spectaculaires du gouvernement central à Bamako, il semble bien que les Touaregs, du moins une partie d’entre eux, sont les seuls à revendiquer la partition du pays, et dans une formule qui paraît être proprement ethnocentrique : le mot Azawad en témoigne. Or, cette région du pays est chevauchée largement par plusieurs autres groupes ethniques, comme les Peuls, les Songhaï, ou les Dogons, qui ne semblent pas traduire leurs souffrances en ferveur sécessionniste au même titre que les Touaregs. Le problème, c’est que les Touaregs constituent une minorité démographique dans le nord du Mali [8]. On parles des Peuls et des Songhaï comme étant majoritaires dans le nord [8], mais même à eux seuls, les Dogons sont plus nombreux que les Touaregs maliens (jusqu’à 700 000 ou  800 000 VS 450 000 pour les Touaregs). Or, le soi-disant pays dogon se situe à l’intérieur de la zone revendiquée par les Touaregs.  Là où le bas blesse, c’est qu’étant donné le large chevauchement de la région par d’autres peuples, en plus de tout ces non-touaregs qui bâtissent et peuplent des villages et des villes depuis des siècles dans le nord, ça revient à dire que les Touareg n’ont aucune intégrité territoriale sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour un projet nationaliste ethnocentrique… La voie de la conquête est vraisemblablement la seule qui vaille, mais on peut se demander pourquoi un projet interethnique de souveraineté n’a jamais pris dans le nord du Mali.

Il semble que les séparatistes touaregs, de par leur nature nomadique et le mélange avec d’autres populations, n’ont pas une situation à l’image des Basques de l’Espagne et de France, des Écossais du Royaume Unis, ou des Québécois du Canada. Leur souveraineté implique la conquête d’une majorité non-touareg, qui ont eux aussi une histoire profonde avec cette terre du nord Mali. Or en occident, les groupes séparatistes s’œuvrent pour convaincre les minorités de leurs territoires d’embarquer dans leur aventure nationaliste. On comprend que les partisans de l’Azawad n’ont pas cette option.

On peut se demander pourquoi les média occidentaux ne nous présentent pas toute la réalité de ce territoire contesté. Vous verrez peut être là un intérêt de rendre légitime les aspirations nationalistes de la minorité Touareg, des aspirations qui, s’ils demeurent le joug exclusif des Touaregs, resteront impossible à atteindre via tout semblant de démocratie, la démographie et la géographie le dicte. Idéalement, le problème Touareg semble plutôt être une question de justice sociale, d’égalité des chances, mais il reste que n’importe quel peuple peut se tailler son empire par la violence s’il le choisi… ça tend à être la règle, mais l’échec dans un tel cas est le plus souvent catastrophique.

Si vous savez écouter, ce n’est pas l’agile présentation médiatique du MNLA qui parle le plus fort dans cette affaire, c’est plutôt le silence de cette majorité d’autres peuples présent dans le nord, qui n’ont pas produit d’équivalents ethnocentriques aussi bruyants que le MNLA en terme de groupe activiste.

 

 Notes et références

[1] « Mali:la situation s’apaise entre la France et le MNLA ». RFI. 13 février 2013. Consulté le 17 février 2013.

[2] Haïdara, Saouti Labass. « Mali– MNLA : On massacre d’abord, on discute après ». Mali Actualité. 12 mars 2012. Consulté le 17 février 2013.

[3] Berthemet, Tanguy. « DesTouaregs exécutent des soldats maliens ». Le Figaro. 14 février 2012. Consulté le 17 février 2013.

[4] Diallo, Lamine. « Régionde Kidal : Une zone de non droit ». Waati. 14 février 2013. Consulté via Maliweb.net le 17 février 2013.

[5] « Casquesbleus de l’ONU: le Mali hésite à donner son feu vert ». RFI. 13 février 2013. Consulté le 17 février 2013.

[6] Védrine, Ambroise. « Guerreau Mali : peut-on vraiment parler de Françafrique ? ». Rue89, Le Nouvel Observateur. 16 février 2013. Consulté le 17 févier 2013.

[7] « Les richesses de laMauritanie pourraient en faire le Koweït de l’Occident arabe Le Koweit duMaghreb Un peuple en attente ». MarocHebdo. 27 décembre 1997. Consulté le 17 février 2013.

[8] Togora, Y. « MNLA: « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous aurez ledéshonneur et vous aurez la guerre » (Winston Churchill) ». Le Flambeau. 6 février 2013. Consulté via Maliweb.net le 17 février 2013.

Texte © 2013, Le Hareng Mal Salé

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Publié dans Afrique

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