Un Pays, Deux Bandits?

Rebelles du M23 dans les rues de Goma, novembre 2012

Originellement publié le 2013-02-10

Novembre 2012 – Texte rétrospectif sur la crise de 2012 dans l’Est de la République Démocratique du Congo.

Comme si l’humiliation subie par les soldats de la FARDC à Goma n’était pas suffisamment profonde, voilà qu’on apprend qu’un de ses chefs militaires vend des armes à l’ennemi [1], et que d’autres s’aventurent à désister à répétition [2], au gré des saisons. Sans pour autant occulter le problème des excursions effrontées des pays de l’Est, ceci nous apporte à une constatation douloureuse à écrire, la thèse selon laquelle une partie des citoyens congolais sont responsables des maux chroniques du pays.

La corruption existe dans tous les pays, mais elle a des effets démesurés dans les pays affligés qui ont peu de moyens. Du coup, il n’est plus question d’un simple scandale dans la vie politique nationale d’une nation; ça devient une question de vie ou de mort, voir même des milliers de morts et une nuée de misère qui asphyxie les masses. Il est légitime de s’indigner quant aux activités des pays de l’Est en sol congolais. Moi-même je suis scandalisé par le niveau d’hypocrisie de la part d’un certain dirigeant qu’il n’est pas nécessaire de nommer [3]. On peut couper au couteau le temps à partir duquel les rebelles du M23 ont tout à coup gagné la donne avec des armes nouvelles aux poings [4], alors qu’avant ils titillaient, cachés dans les collines avec les animaux d’un parc [5].

Cependant, la vérité la plus complète semble trop dure à estomaquer, même si les commentateurs anonymes de la blogosphère, que l’on présume congolais quand vient ces questions proprement congolaises, arpentent tout de même indirectement le problème le plus profond. Pointer du doigt la corruption et l’incapacité du gouvernement central, et par conséquent son armée, semble tout à fait justifié. On peut tout de même insérer cela dans la narrative d’un Congo martyrisé par l’envahisseur. Il n’est pas étonnant de voir de nombreux commentaires à cet égard.

L’autre face du problème est plus terrible et douloureuse… Personne ne veux entendre que le deuxième bandit est bien de chez sois, c’est-à-dire une partie des citoyens de la nation. C’est encore plus douloureux que d’affirmer qu’il ne suffit pas de s’attarder à l’élite centrale, que l’on peut pourtant qualifier de tous les maux : de la corruption jusqu’au vol pur et simple. Résolument, il faut reconnaitre que des citoyens ordinaires se tirent de leur misère en se faisant prédateur de compatriotes. Au nom de la survie, du simple milicien jusqu’au commandant, on saccage sa propre patrie [6], les gens autant que la terre et les minerais.

C’est une situation bien curieuse dans l’Est : le constat que certains groupes armées, constitués proprement de fils de la nation, agissent dans la même trame que leurs groupes rivaux étrangers, c’est-à-dire comme pilleurs de la populace et des ressources de leur territoire. Nous sommes au-delà du banditisme individuel, c’est à s’y méconnaitre lorsque sur la base des actes, il devient difficile de différencier les groupes, dans le sens que des congolais se comportent comme des conquérants sur dans propre terroir, sans qu’il n’y ait édification des leurs pour autant.

Les fort tapent sur les petits et c’est une tendance qui ne s’est qu’accentué au cours des dernières décennies. Plus les armées deviennent puissantes et donc complexes, sophistiquées et par conséquent coûteuses, plus cette vérité tiens. Les puissances du monde d’aujourd’hui n’affrontent pas des ennemis à leur taille. Par exemple, regardez le genre d’engagement militaire que les États-Unis d’Amérique ont effectué ces dernières décennies, et vous verrez ce dont il est question. On ne tape que lorsqu’en situation de supériorité criante. En fait, depuis la guerre froide, les grands ne se tapent plus directement entre eu, mais chacun tape sur les petits dans le camp de l’autre, ou mieux encore, on laisse les petits taper et se faire taper et on en profite.

Avec tous ces congolais qui s’entre-cannibalisent [6, 7], le pays est dans une position de faiblesse telle qu’il est comme un gros gigot saignant balancé à la face des pays de l’Est. Le premier pan d’une solution à long terme passe peut-être par une transformation intérieure du pays. Rares sont les pays où des bandes de criminels peuvent faire ce que bon leur semble et victimiser des milliers de citoyens pendant des mois, voir des années durant, sans de fortes probabilités d’être appréhendés. Rares sont les pays qui tolèreraient des changements d’allégeances aussi fréquentes que la direction du vent de la part de ses militaires, du chef jusqu’au simple soldat.

Si le fait de se dire congolais veux d’abord dire quelque chose, et que ceci puisse dominer ne serait-ce que sensiblement le sens identitaire des populaces de tous les recoins du pays, alors là si les congolais deviennent un seul corps et enchaînent le développement, il y aurait la chance qu’un jour, le pays ait la force de ses proportions, et qu’il devienne impensable qu’un petit pays de l’Est puisse même imaginer l’éventualité d’une excursion sans le payer très chèrement. Quel est le pire ennemi de l’esclave? L’esclave vous répondra que c’est « un autre esclave ». Ainsi les entités de l’Est s’arrachent tous le même pain, dans un contexte de misère et de précarité.

Notes et Références

[1] « RDC :le président Kabila suspend le général major Amisi, le chef des forcesterrestres ». Radio Okapi. 22 novembre 2012. Consulté le 22 novembre 2012.

[2] « Bukavu:le colonel Kahasha fait à nouveau défection ». Radio Okapi. 24 novembre 2012. Consulté le 25 novembre 2012.

[3] « UNaccuses Rwanda of leading DR Congo rebels ». AlJazeera English. 17 octobre 2012. Consulté le 10 février 2013.

[4] « RépubliqueDémocratique du Congo – Remarques à la presse de M. Gérard Araud, Représentantpermanent de la France auprès des Nations unies ». La France à l’ONU – Représentation permanente de la France auprès des Nations Unies à New York. 19 novembre 2012. Consulté le 9 février 2013.

[5] « DRCongo military battles ‘M23’ mutineers ». MWC News. 20 mai 2012. Consulté le 9 février 2013.

[6] « DRCongo: initial findings by UN confirm human rights violations amid recentviolence ». UN News Center. 18 décembre 2012. Consulté le 9 février 2013.

[7] « Katanga:les Maï-Maï tuent plus de 65 personnes en l’espace de trois semaines à Mwemena ». Radio Okapi. 9 février 2013. Consulté le 10 février 2013.

Texte © 2013, Le Hareng Mal Salé

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Publié dans Afrique

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