La grogne du bleuet dans la Péninsule acadienne

bleuet

Le bleuet… L’or bleu?

En réponse au favoritisme du gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick envers la compagnie Oxford, les petits cultivateurs indépendants de la Péninsule acadienne proposent plus de pillage du patrimoine collectif de la région, cette fois pour les accommoder « eux ».

Le géant du bleuet Oxford avait troqué avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick plus de 6000 hectares de terres de la couronne (plus de 15000 acres) [1, 2], donnant aux gens du Nouveau Brunswick des terres déboisée et souillée situées en bordure des routes, pour se retrouver avec de belles terres, qu’il pourra raser de ses forêts [3] pour créer des monocultures de bleuets, tout en pouvant profiter monétairement de ce bois néo-brunswickois. Oxford débarque avec ses gros investissements, et aux dires du député conservateur du coin, ils ne seraient pas en mesure de refuser le gros investissement de la compagnie dans la Péninsule acadienne [2]. Pourtant, c’est l’environnement des gens, et leur héritage actuel et pour les générations futures qui sert en fait de monnaie d’échange. Les gens de la province payent la note pour attirer du capital, mais qu’est-ce qu’ils obtiennent en retour? Une garantie de 300 emplois pendant 10 ans, soit une trentaine d’emplois par année pendant 10 ans. Ce n’est rien de trop excitant, venant d’une industrie qui dépendra du capital naturel de la région, et qui sera tout de même à la merci du climat et des marchés. Et dire que l’Acadie Nouvelle avait présenté cela comme un magot qui vient gratuitement, comme des bonbons d’Halloween [4]…

Que le gouvernement du Nouveau-Brunswick ait pu faire, incognito, de la substitution de terres qui ne s’équivalent pas en valeur économique et écologique, c’est digne d’une république de banane. Perdre du capital naturel, ce n’est pas comme perdre des argents. Ça ne se remplace pas facilement et parfois, c’est même impossible de récupérer ce qui est perdu ou détérioré. C’est bien différent des argents qui ont été gaspillés sur l’industrie des textiles dans cette curieuse pointe de terre que l’on qualifie de péninsule. Pourquoi ce genre de pratique ne serait pas considéré comme un vol, bref un acte illégal? Le gros problème, c’est que le propriétaire, c’est-à-dire les gens du Nouveau-Brunswick, n’a jamais donné son aval pour cette transaction à connotation mafieuse. Au Nouveau-Brunswick, on est pas fort dans la consultation et la planification, et les scandales de ce genre abondent. On peut se rappeler la réforme scolaire de l’enseignement du français dans les écoles anglophones, la tentative de vente (échouée) de NB Power, et n’oubliez surtout pas les grands scandales du jour, comme le dossier des gaz de schistes, et la catastrophe imminente que représente la nouvelle politique de gestion des forêts.

Paul Robichaud, sous-chef régional pour le premier ministre conservateur David Alward, a vanté le projet Oxford, car avec 184 millions de dollars, dont une usine de 50 millions et 300 emplois garantis sur 10 ans, ceci représenterait le plus gros investissement privé de l’histoire de la Péninsule [4]. Pour un politicien d’une province qui a depuis toujours, été addicté aux méga-projets, on ne saurait trop comprendre son excitation, et que dire de cette prise de position comme quoi la taille de la somme exige que les gens acceptent docilement ce troc de terres. Paraît-il qu’on ne saurait refuser un tel investissement… Et pourtant, les gros projets dans la Péninsule acadienne et la région Chaleur de Bathurst est plutôt chose banale.

Dans la Péninsule acadienne, déjà au 19e siècle, il y avait des industriels qui avaient des avoirs et des infrastructures dont la valeur dépassait la centaine de millier de dollars [5]. Imaginez à quoi ça équivaut en dollars d’aujourd’hui. Juste à côté, il y avait jadis, au sud de la ville de Bathurst, l’une des plus grosses mines de zinc souterraines au monde, la Brunswick No.12. Une seule usine de poisson dans la Péninsule Acadienne représente à elle seule une valeur considérable et est associée à tout autant d’employés que ce que Oxford pourrait offrir. Prenons pour exemple l’usine que Daley Brothers a perdue aux mains d’une horde criminelle à Shippagan. La poursuite judiciaire pour les pertes encourues contre la ville de Shippagan s’élève à 25 millions de dollars, et c’est 350 emplois qui ont été perdus [6]. Il y a pleins d’entités qui brassent des gros chiffres d’affaire dans la Péninsule, alors 300 emplois sur dix ans et une usine de 50 millions, c’est quelque chose, mais ce n’est pas la mer à boire, contrairement à ce que semble en penser les politiciens. Étant donné que les gens de la province on dû débourser quelque chose de précieux,  un bien collectif, pour concrétiser le projet, ça aurait mérité leur participation au niveau de la décision qui a été prise.

Pourquoi les gens devraient baver à l’idée d’une usine de bleuets de 50 millions? Elle peut être construite, mais ça ne veux pas dire qu’elle perdurera… La Péninsule acadienne est pleine de traces de présences étrangères qui n’ont pu persister.

Le projet est concrétisé et les petits producteurs de bleuets indépendants tentent de s’adapter et de réagir, mais là aussi nous allons encore payer un prix collectif. Leur grogne n’a jamais réussit à enrayer le projet du gouvernement, étant donné qu’ils ont pratiquement été confronté au fait accomplis. Voilà que pour palier à cette situation,  les petits cultivateurs nous disent inconsciemment que si le gouvernement et Oxford ont pu piller le capital naturel qui appartient au gens de la province pour faire des champs de bleuets d’intérêt privé, eux aussi ils devraient pouvoir en faire autant et ce, sur une superficie encore plus grande que ce que Oxford a gobé!

Ils quémandent maintenant de pouvoir participer au saccage de ce qu’il reste des forêts sur les terres de la couronne de la Péninsule acadienne. Ils veulent plus de terres (20000 acres) où pratiquer cette monoculture [2, 7]. Pire encore, ils veulent devenir propriétaire de ces terres de la couronne qu’ils  revendiquent [7]. Ils veulent faire comme le nouveau Goliath dans la région et s’accaparer des terres qui doivent normalement appartenir perpétuellement et collectivement au gens de la province et aux générations futures. Ils ne veulent plus louer les terres qui appartiennent au peuple; ils en veulent la possession exclusive. Comme quoi le saccage de l’héritage collectif du peuple pour le profit d’une clique particulière peut être réclamé sans gêne, pourvu que ça profite à la bonne tribu.

 

Documents d’intérêt 

Le communiqué officiel du gouvernement du Nouveau-Brunswick concernant la transaction des terres: http://www2.gnb.ca/content/gnb/fr/nouvelles/communique.2014.06.0688.html

carte_Oxford_deal

La carte ci-dessus illustre les terres échangées (rose données au gouvernement, vert foncé données à Oxford). Elle est accessible à l’adresse gouvernementale suivante: http://www2.gnb.ca/content/dam/gnb/Departments/nr-rn/pdf/Oxford_press_release_map.pdf

 

Notes et Références

[1] « Frozen food giant invests $184M to build blueberry plant ». cbc.ca. 31 octobre 2013. Consulté le 4 août 2014.

[2] « Les producteurs de bleuets de la Péninsule acadienne inquiets de leur avenir ». Radio-Canada – Édition Acadie. 31 juillet 2014. Consulté le 4 août 2014.

[3] «Arrivée prochaine d’Oxford Frozen Foods : Des coupes de bois qui dérangent dans la Péninsule acadienne ». CHAUTVA.com. 4 février 2014. Consulté le 4 août 2014.

[4] « Bleuets: Oxford promet de créer 300 emplois dans la Péninsule ». L’Acadie Nouvelle. 31 octobre 2013. Consulté le 4 août 2014.

[5] Léger, Raymond. 1988. « L’industrie du bois dans la Péninsule acadienne ». Revue d’histoire de la Société historique Nicolas-Denys 16(2) : 1-86.

[6] « Émeute à Shippagan : deux ans plus tard, aucune accusation n’a été portée ». Radio-Canada. 5 mai 2005. Consulté le 4 août 2014.

[7] « Attribution de terres de la Couronne à Oxford Frozen Food Producteurs de bleuets en colère ». CHAUTVA.com. 31 juillet 2014. Consulté le 4 août 2014.

Texte © 2014, Le Hareng Mal Salé

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Publié dans Acadie, Environnement

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