Autorités canadiennes en matière d’immigration, une affaire d’amateurisme?

Originellement publié le 15 février 2014.

Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous sommes tombés par hasard sur de la documentation pour l’évaluation de l’ethnie Lari du Congo-Brazzaville pour les questions de statut de réfugié au Canada [1]! La surprise, ce n’est pas que ce groupe ethnolinguistique figure positivement lorsqu’il s’agit d’octroyer le statut de réfugié. Le calvaire qu’ont vécu ce groupe depuis les années 1990 est bien connu. Non… La surprise nous vient des autorités canadiennes. Figurez-vous qu’ils se basent sur des entités partisanes pour s’informer de l’histoire troublée de la République du Congo, notamment en citant « Les Dépêches de Brazzaville » et des employés financés par l’état, au sein de l’Université Marien Ngouabi [1].

Qu’est-ce que c’est, ce périodique? Eh-bien, ce n’est pas un média très sérieux [2]; c’est plutôt un journal qui constitue un outil de communication du gouvernement de la République du Congo. Ce journal est géré par ADIAC (Agence d’information d’Afrique centrale), une machine fondée par Jean-Paul Pigasse, un proche et employé du président de la république du Congo depuis la guerre de 1997 [2]. Voilà un personnage loin d’inspirer l’impartialité, et pour cause, certains opposants politiques le qualifient comme étant « l’homme fort de Dennis Sassou Nguesso » [3], « le perroquet du dictateur » [4], ou encore « le propagandiste importé » [5]. Étant donné que le président actuel de la république est arrivé au pouvoir deux fois par les armes (8 février 1979 contre Joachim Yhombi-Opango, et 25 octobre 1997 contre Pascal Lissouba), on peut voir là un outil de propagande du régime en place, étant donné que ce périodique tirerait en partie son financement des coffres de l’état. Peut-on s’étonner du rôle que joue ce journal? Pas du tout, puisque même les pays démocratiques ont leurs machines à propagande partisanes; pensez au « CNN » des démocrates et au « Fox News » des républicains chez les Américains.

La grosse farce cependant, c’est sur le dos de la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié du Canada qu’on peut la faire. On peut leur concéder que la documentation par rapport à un groupe ethnique particulier repose sur plusieurs sources et de soi-disant conversations avec des universitaires ou des experts présents en sol africain, mais le simple fait que des sources comme « Les Dépêches de Brazzaville » puissent aider à se faire une idée sur la situation de ce pays, et qu’on décide du sort des réfugiés en nourrissant les fonctionnaires canadiens de petits résumés amateurs dans lesquelles figurent des sources partiales et donc loin d’êtres savantes, il y a de quoi s’inquiéter.

Vous pouvez donc deviner le genre de chose qu’on ne lira jamais dans les pages de ce que certains on appelé la « feuille de chou » [6]. Quand on apprend que selon cette source [1], les Mbochi (l’ethnie du dictateur) constituent la troisième ethnie en importance au pays, on se demande d’où ça viens, car si on se fie au nombre de locuteurs Mbochi, leur nombre n’est que de 108,000 à 151,000 [7, 8], pour un pays d’un peu plus de 4 millions d’habitants [9].

S’en remettre à des conversations avec des intellectuels et des chercheurs qui sont du même pays et des mêmes ethnies que celles qui sont ciblées par l’évaluation, c’est une autre gaffe monumentale et qui démontre l’amateurisme de ce département, sinon leur paresse. On ne peut pas croire qu’il y a pénurie de publications savantes, et aussi d’ethnologues, d’historiens, de journalistes, et de sociologues externes et compétents pour servir d’évaluateur impartial.

D’ailleurs, dans un autre document [10] publié par la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié du Canada et lui aussi rendu disponible par l’Agence des Réfugiés de l’ONU, on peut découvrir une autre absurdité : qu’il existerait une ethnie « Nibolek » au Congo. N’importe quel congolais vous expliquera aisément que Nibolek désigne un territoire qui regroupe le Niari, le Bouenza, et le Lékoumou, d’où l’appellation « Ni-Bo-Lek ». Il s’agit d’une désignation géographique. De toute évidence, quelque chose ne tourne pas rond dans cette agence du gouvernement canadien. Comment expliquer un tel amateurisme?

Notes et Références

[1] Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié du Canada. « République du Congo : information sur le traitement réservé aux Laris et aux Vilis par le gouvernement; information indiquant si des conflits les opposent à une ou des minorités et, le cas échéant, la nature et la fréquence de ces conflits (2005-2010) ». refworld.org. Consulté le 15 février 2014.

[2] « Le Congolais Jean-Paul Pigasse ». congopage.com. 9 août 2010. Consulté le 15 février 2014.

[3] Berrebi, Serge. « Jean-Paul Pigasse : L’Homme Fort de Denis Sassou Nguesso ». dac-presse.com. 26 avril 2011. Consulté le 15 février 2014.

[4]  « CONGO – FRANCE : LE PERROQUET DU DICTATEUR Denis SASSOU NGUESSO Jean Paul PIGASSE SE MOQUE OUVERTEMENT DU PRESIDENT FRANCAIS François HOLLANDE ET SES MINISTRES ». lavoixdupeuple.over-blog.org. 27 octobre 2013. Consulté le 15 février 2014.

[5] Ossebi, Rigobert. « JEAN PAUL PIGASSE LE PROPAGANDISTE IMPORTÉ, LA TERREUR ET LES ETATS-GENERAUX ». congo-liberty.com. 29 juin 2013. Consulté le 15 février 2014.

[6] Berrebi, Serge. « L’Homme Fort ! ». sergeberrebi.over-blog.com. 20 avril 2011. Consulté le 15 février 2014.

[7] « Mbosi, A Language of Congo ». ethnologue.com. Consulté le 15 février 2014.

[8] « Mbosi, Mbochi in Congo, Republic of the ». joshuaproject.net. Consulté le 15 février 2014.

[9] « Fiches Pays – Congo ». jeuneafrique.com. Consulté le 15 février 2014.

[10] Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié du Canada. « Republic of the Congo: treatment of members of the Lari and Nibolek ethnic groups, including their relationship with the Colonel Marcel Ntsourou». refworld.org. Consulté le 15 février 2014.

Texte © 2014, Le Hareng Mal Salé 

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Publié dans Afrique, Immigration

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